Tous les ans, à la fin de l’année scolaire, la distribution des prix avait lieu au mois de juillet. Une personnalité, souvent un membre du clergé, mais parfois aussi un ancien élève appartenant à la société civile, venait y faire le discours qui précédait le grand banquet. En 1882 ce fut l’abbé Paul Terris, vicaire général de Mgr l’évêque de Fréjus et Toulon, à qui le rôle échut d’évoquer « l’Histoire d’une maison d’éducation » un établissement qui, bien que relativement jeune (1849), avait déjà sa propre légende… L’abbé, entre autres sujets, y aborda la période sombre de 1865, celle de l’épidémie de choléra à La Seyne sur mer qui entraina de très nombreux décès et l’exode massif de la population.
Les discours
L’épidémie
En 1865 la ville comptait 13 000 habitants dont 4 000 ouvriers qui travaillaient aux chantiers, on y déplora 500 morts soit quasiment 4 % de la population (soit les 4/5 des personnes atteintes, 80%) sur une période de 4 mois, d’Août à Novembre 1865.
Beaucoup de protagonistes de cet événement ont laissé le souvenir de leur dévouement, de leur courage et de leur charité (comme le rappelle l’inscription sur l’obélisque dressé en 1866 sur la place Bourradet qui fut transféré plus tard au cimetière de la ville), et ont donné leur nom à certaines de nos rues, école ou place :
- Cyrus Hugues l’Apoticari* qui a tenu sa pharmacie ouverte et distribué gratuitement les médicaments.
- Le Dr Etienne Prat*, ex-chirurgien de la Marine, médecin à La Seyne, conseiller municipal, attaché à l’ambulance des Cavaillons. (Thèse de 1866 : La Seyne & son épidémie cholérique en 1865)
- Esprit Martel le maire
- François Durand le 1er adjoint
- Nicolas Chapuy* le 2ème adjoint nommé à la commission hygiène, qui par son dévouement y perdit la vie
- Le Dr Clément Daniel* (les docteurs Combal, Clément et Prosper Daniel* attachés à l’Hospice, Martinenq ancien chirurgien de la Marine, Burcq et Mourgues « le spécialiste distingué venant de Lyon »
- Joseph Marie Rousset* le boulanger, resté fidèle à son four pendant toute la durée de l’épidémie.
- Augustin Daniel le secrétaire de mairie, cousin du Dr Hyacinthe Combal*, victime de la maladie.
L’historien Louis Baudoin raconte en détail ce triste évènement durant lequel certains seynois se comportèrent en héros, y laissant parfois leur vie.
Les remèdes
Il y eut dans cette période un autre personnage au comportement héroïque dont pourtant aucune placette ne perpétue le souvenir et dont les historiens locaux ne citent même pas le nom pour la simple et bonne raison qu’il leur est inconnu, probablement de par l’humilité dont cet homme a su faire preuve en sus de son humanité, de son abnégation et de son courage…
Louis Baudoin écrit :
« Répondant à la demande du maire, Esprit Martel, de participer à leur enlèvement, le R.P. Monfat mit à la disposition de la ville le cheval et la voiture du Collège ainsi que des volontaires de la maison. L’un de ces volontaires, homme de coeur et de devoir, ancien militaire, n’hésita pas à parcourir les rues de la ville depuis cinq heures du matin jusqu’à dix heures du soir en compagnie de M. François Durand, premier adjoint de la commune. Pénétrant dans les logis sans vie ou remplis de gens effrayés d’horreur, bravant l’affreuse contagion, ces hommes dévoués faisaient enlever les cadavres, les chargeant parfois même sur leurs propres épaules et, après les avoir déposé sur le funèbre véhicule, les transportaient au cimetière de La Seyne au quartier St Honorat… »
“Dans ce livre consacré aux annales de notre pays, il nous faut raconter ce trait qui fait connaître la nature exceptionnelle, le caractère d’élite de cet employé de Sainte-Marie dont nous venons de dire le dévouement mais dont nous regrettons beaucoup de ne pouvoir citer le nom“. (Louis Baudoin 1965)
Des locaux du collège furent transformés en infirmerie, par ailleurs les religieuses trinitaires du collège ne restèrent pas inactives, et apportèrent leur aide aux ambulances qui parcouraient la ville.
« Malgré les rapports multiples et de tout genre que les habitants du collège eurent avec les cholériques, aucun ne fut atteint et le fléau destructeur n’osa franchir le seuil de l’établissement. Les religieuses Trinitaires du collège qui, au nombre de douze s’étaient dévouées jour et nuit au chevet des moribonds dans les ambulances, sortirent toutes de l’épreuve saines et sauves, tandis que deux de leurs soeurs attachées au service de l’Hospice payaient leur dévouement au prix de leur vie… » (Le collège desRR PP…)
…Les travaux du cimetière étaient faits par une escouade de dix forçats qui venaient tous les jours de Toulon sous la conduite de deux gardes-chiourmes, pour creuser de nouvelles tranchées dans les quelles ils entassaient pêle-mêle tous les cadavres que les voisins leur apportaient. Deux de ces malheureux et un gardien qui les accompagnait succombèrent au fléau…(Les origines lointaines de Ste Marie 1849-1876)
“Pour les encourager à la triste besogne du transport et de l’inhumation
des cadavres, on leur fit la promesse de leur accorder, après la fin du fléau, soit des
grâces, soit des réductions de peines selon leur conduite. Cette promesse fut tenue
effectivement pour ceux qui survécurent.” (Louis Baudoin)
Mais laissons plutôt l’abbé Terris raconter :
“Une maison d’éducation est une famille : rien de ce qui honore un de ses membres n’est donc étranger à l’honneur de la maison elle-même. Pourquoi passerais-je sous silence l’admirable dévouement d’un simple domestique?
Le 15 septembre 1865 et les jours suivants, le choléra s’abat d’une manière épouvantable sur la ville de La Seyne : en quelques heures il a fait de nombreuses victimes. Tous fuient, épouvantés. Le collège était en vacances : seuls trois ou quatre Pères et quelques serviteurs gardaient la maison. Les Pères se dévouent sans marchander pour prêter au clergé paroissial, dont le courage fut à la hauteur des circonstances, le secours de leur ministère auprès des cholériques; j’ai à peine besoin de le dire. Des hommes qui savent affronter les flèches ou la dent des Canaques, n’ont pas peur du choléra, c’est bien évident.
Mais ce courage simple n’est pas le partage de tous : en temps d’épidémie bien des gens perdent la tête; c’est connu.
Beaucoup de cadavres restaient abandonnés sans sépulture répandant autour d’eux de nouveaux germes de mort. Il fallait se dévouer pour les enlever.
On fait appel au P.Supérieur : «Je puis bien, dit-il, vous livrer le cheval de la Maison; mais je ne puis pas obliger mes domestiques à cette besogne ».
Un brave serviteur nommé Auguste, apprenant l’embarras où l’on était, va trouver le supérieur « Mon Père, qu’on soit tranquille, j’irai » .
Et dès cinq heures du matin, le lendemain, il était à l’œuvre.
Cet homme héroïque parcourt la ville désolée, il va de porte en porte, pénétrant dans les maisons où la mort l’a précédé, il charge les cadavres sur ses épaules et les porte à la voiture qui l’attendait et de là au cimetière. Au cimetière il trouve un prêtre, un jeune vicaire de La Seyne qui a pris pour sa part la rude tâche du fossoyeur. Après avoir passé la journée à visiter les cholériques et à les préparer à la mort, il profitait des ombres de la nuit pour s’en aller creuser leurs fosses, car les morts vont vite, plus encore en temps d’épidémie que dans la ballade allemande, et les fosses manquaient. Et de cinq heures du matin à dix ou onze heures du soir, ces deux hommes continuent sans relâche. Et le lendemain et les jours suivants ils recommencent. La mort se lasse de frapper, plutôt que ces hommes héroïques de braver ses coups et d’ensevelir ses victimes.
Que de fois ne fallut- il pas enfoncer des portes pour arriver à un cadavre abandonné, et que de dégouts à supporter dans l’accomplissement de ce rude ministère?
Un jour, une famille plus généreuse oblige Auguste à accepter six francs. En rentrant au collège, il veut remettre cette somme au P. Supérieur. «Non, mon ami, lui dit le Père, gardez ça; vous l’avez trop bien gagné ».« – De l’argent, moi, reprend le brave homme, de l’argent pour payer ce travail, je n’en veux pas. Prenez ces six francs, vous en ferez dire des messes pour les pauvres malheureux qui sont morts ».
Jeunes gens qui m’écoutez, l’histoire de cette Maison a déjà de belles pages;
j’en ai encore plus d’une à dérouler devant vous.
Mais, je ne crains pas de le dire, il n’y en a pas de plus belle que celle-là.”
(Applaudissements).
Ce discours bien dans la tradition de l’Esprit Mariste, très “corporate” dirait-on aujourd’hui, écrit et prononcé en 1882 nous dévoile donc le prénom de ce brave domestique, Antoine. Or, au recensement de 1866, 10 domestiques sont répertoriés dans l’établissement des R.P. Maristes, dont un seul Augustin, Augustin Dumeneix, âgé de 29 ans. C’est très vraisemblablement lui le héros dont le souvenir d’une conduite exemplaire est arrivé jusqu’à nous…
Respect !
Voir par ailleurs
L’épidémie de choléra de 1865
laseyneen1900.fr/2020/07/30/lepidemie-de-cholera-de-1865-et-nicolas-chapuy/*
Et
Les soignants de l’épidémie de choléra de 1865
laseyneen1900.fr/2020/08/01/les-soignants-de-lepidemie-de-cholera-de-1865/*
Sources
-Archives ISM :
Les origines lointaines de Ste Marie 1849 1876 p39 (Association Anciens Elèves)
Le collège des RR PP Maristes à la Seyne 1843 – 1983 p 26 (Association Anciens Elèves)
Institution Ste Marie 1849 1999 p79 (Association Anciens Elèves)
Les établissements maristes (Louis Baudoin) p26
Travaux de recherche Lionel Roos-Jourdan
L’histoire d’une maison d’éducation p22 (par l’Abbé Paul Terris 1882)
-Histoire Générale de La Seyne (Louis Baudoin) p573
PdP pour 3aism.fr et laseyneen1900.fr